Banksy, artiste ou businessman?

Cela fait une quinzaine d’années que je suis l’évolution du street art. En 2003, l’art de rue est un art encore populaire et dirait-on autant poétique que politique par les messages que les pochoiristes et artistes véhiculaient. Derrières ces œuvres éphémères, se cachaient bien souvent des hommes et des femmes à fleur de peau, aux parcours de vie chaotiques. Il n’y avait aucune prétention ce me semble.

Depuis le début des années 2000, le street art s’est progressivement embourgeoisé, devenant conventionnel et lucratif. Il ne délivre plus la poésie ni même l’audace graphique qui m’ont séduit un temps, lorsque j’arpentais, appareil photo à la main, les rues de l’Est parisien, ou à Lyon, la friche Berliet et les pentes de la Croix-Rousse.

Banksy apparaît comme la tête de gondole de ces artistes qui vendent aujourd’hui leurs œuvres à prix d’or. Originaire de Bristol en Angleterre, Banksy serait, selon certains, Robert del Naja, musicien du groupe Massive Attack (que j’aime beaucoup) …

Banksy est un habitué des coups artistiques. La destruction d’une de ses œuvres, préméditée semble-t-il chez Sotheby’s le 5 octobre 2018 par une broyeuse m’a ramené à des interrogations personnelles sur l’art contemporain et le statut d’artiste que je nourris depuis des années.

J’ai peu ou prou pensé que ce qui comptait dans l’art contemporain c’était l’acte créatif de l’artiste, la concrétisation d’une vision. C’était faux.

En lisant les travaux de la sociologue Nathalie Heinich, j’ai obtenu de nouvelles pistes de réflexion.

–  l’art contemporain ne se situe pas dans une continuité de l’art « classique » et de l’art « moderne ». L’art contemporain est une rupture par rapport à cette ligne chronologique.

– On doit se défaire de son propre jugement sur la dimension ontologique de l’art contemporain « c’est de l’art » ou « ce n’est pas de l’art », ne mène à rien pour essayer de le cerner.

Enfin, l’une des pistes est de cerner l’art contemporain par le contrepoint qu’il cultive.

« Le propre de l’art contemporain est de cultiver toutes sortes de distances : distance physique entre l’artiste et son matériau, distance culturelle avec le bon goût, distance ontologique avec les critères définissant traditionnellement l’œuvre d’art, distance juridique et morale avec les règles de la vie en société… Parmi ces formes de distance, la dérision est l’une des plus constantes, au point que les critiques font du jeu sur le dérisoire un critère positif pour l’évaluation d’une œuvre. Les créateurs se démarquent ainsi de l’éthique romantique de l’investissement total dans la création, qui a contribué à construire l’un de ces « stéréotypes de singularité » auxquels il leur faut justement s’opposer dès lors qu’ils veulent affirmer une singularité dégagée des standards. »[1]

La sociologue parle de l’art contemporain d’une « expérimentation de toutes les formes de rupture » et de la transgression par rapport à l’art qui le précède ; mais aussi par rapport aux valeurs de la société dans lequel il s’insère.[2]

La rupture, la transgression, la subversivité, me paraissent donc des thèmes intéressants à être étudiés.

Mais pour revenir à Banksy, on est peut-être arrivé à un stade post-transgressif. Il n ‘y a plus vraiment de transgression dans le discours tellement mainstream et manichéen. Mieux, avec la destruction de son œuvre, il n’y a même plus d’objet. Comme l’écrit Nathalie Heinich, « l’œuvre d’art ne réside plus dans l’objet proposé par l’artiste » mais dans l’au-delà de l’objet.[3] La matérialité de l’œuvre s’efface derrière un acte délibérément destructeur de l’artiste. On peut s’interroger sur la portée du message et sa réception : hostilité, critique, louanges… Les avis sont partagés.

Le grand gagnant reste Banksy, car son action lui a permis de doubler la valeur de son œuvre sur le marché de l’art, et d’accroitre sa notoriété et donc la valeur de sa production.

Banksy m’apparaît par ce coup d’éclat être davantage un excellent communicant qu’un artiste dans son acception traditionnelle d’homo faber. Il maitrise parfaitement les codes de la communication propre à servir sa réputation et la côte de sa production, du reste rare, sur un marché de l’art ultralibéralisé et globalisé. Banksy est un businessman.

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[1] Nathalie Heinich, « Ce que l’art a fait à la modernité », Revue internationale de philosophie, 2017/3 (n° 281), p. 299-309.
[2] Nathalie Heinich, Pour en finir avec la querelle de l’art contemporain, Paris, L’échoppe, 1999, p. 19.
[3] Nathalie Heinich, Le Paradigme de l’art contemporain. Structures d’une révolution artistique, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 2014, p. 89.

Hommage à Jacques Truphémus au Musée des Beaux-Arts de Lyon

Le 8 septembre 2017, Jacques Truphémus, qui fut l’un des peintres les plus importants du dernier quart du XXe siècle à Lyon, s’éteignait à l’âge de 95 ans. Il avait reçu ces dernières années l’honneur de plusieurs expositions et accrochage dans notre ville : au Rectangle place Bellecour en 2000, au siège de la région Rhône Alpes à Confluence en 2012, et en 2013 au Musée des Beaux-Arts un accrochage mit en avant ses paysages.

Tout dernièrement, une grande rétrospective au musée Hébert à Grenoble, sa ville natale, donnait à voir toute la diversité de son œuvre.

Cette éminente figure que certains qualifient de « classique » pour son style a été pourtant célébré par Balthus, qui le considérait dans les années 1980 comme un des meilleurs peintres français. Yves Bonnefoy lui consacra un livre en 2011, et des poèmes en 2015…

Truphémus est reconnu pour être un peintre de la lumière, et le musée des Beaux-Arts de Lyon en donne encore une illustration avec cet accrochage hommage avec une série sur les cafés.

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Mondes flottants – retour sur la biennale d’art contemporain de Lyon 2017

La 14e biennale d’art contemporain de Lyon s’achève dans quelques jours, en ce mois de janvier. Le thème de cette année fut les mondes flottants.

On le doit à Emma Lavigne, directrice du centre Pompidou de Metz et commissaire de l’exposition. Le site de la biennale explique en introduction les raisons de ce sujet :

«  C’est dans le contexte d’une mondialisation galopante générant une constante mobilité et l’accélération des flux, cette “ liquidité ” du monde et des identités analysée par le sociologue Zygmunt Bauman, que la Biennale explore l’héritage et la portée
du concept de “ moderne ” dans la création actuelle, selon la définition qu’en fit le poète Baudelaire, qui envisage le moderne comme “ le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art dont l’autre moitié est l’éternel et l’immobile ”. La Biennale se déploie comme un paysage mobile et atmosphérique en expansion, qui se recompose sans cesse […] »[1]

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Regard sur la scène artistique lyonnaise du XXe siècle : accrochage temporaire au Musée des Beaux-Arts

Le musée des Beaux-Arts est décidément à l’heure lyonnaise puisque en plus d’une formidable exposition sur l’art et l’humanisme lyonnais au XVIe siècle, l’institution propose un accrochage temporaire sur la scène artistique lyonnaise du XXe siècle ; la collection d’art moderne et contemporain du XXe siècle du Musée étant pour partie au Mexique jusqu’à l’été prochain.

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